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Tout en haut de la skyline : les managers des multinationales, interchangeables, conditionnés, zélés et dévoués au système dont ils sont les serviteurs… L’imaginaire qu’ils se sont construit leur interdit de se projeter en dehors de leur univers familier : face à de nouveaux problèmes, ils ne connaissent que les solutions qu’ils ont toujours mises en œuvre. Aujourd’hui, ils y recourent donc encore une fois : manipuler la masse monétaire d’argent fiduciaire mis en circulation par la Réserve Fédérale à leur bénéfice. Face à une crise potentiellement fatale pour le système qui les porte, ils se laissent gagner, semble-t-il, par une « radicalisation cumulative » (d’après le concept théorisé par l’historien Hans Mommsen), de haut en bas de leur pyramide hiérarchique et tout au long de ses branches parallèles plus ou moins concurrentes. Loin donc de s’orienter vers d’autres solutions, ils redoublent d’ardeur, au contraire, à les appliquer. Et déjà auparavant soudés par une pensée grégaire monolithique et par une foi aveugle dans les axiomes technocratiques, tous les petits soldats des armées corporate succombent à une ambiance hypnotique nourrie par le sentiment de menace imminente qui plane au-dessus d’eux. Ils se mettent alors en campagne, sans regarder en arrière, dans une dynamique autodestructrice dont aucun n’a vraiment conscience. Mais toujours au nom de la science économique, du réalisme et du progrès auquel l’univers corporate s’identifie.
Augmentation de la masse monétaire : c’est la faute au COVID
L’inflation a commencé timidement à la fin de l’été 2021, puis explose à la fin de l’hiver 2022, en même temps que s’ouvrent les opérations militaires en Ukraine : les taux directeurs grimpent, les crédits se tarissent, la masse monétaire se contracte, l’économie s’engouffre dans la récession. Rien d’étonnant à cela : la Réserve Fédérale, à partir de septembre 2019, et jusqu’à fin 2021, a augmenté de plus d’un quart la masse monétaire des États-Unis pour sauver Wall Street qui tangue de plus en plus et menace même de s’effondrer en février 2020. La création monétaire connait d’ailleurs un pic en mars de cette même année. Le prétexte ? Un virus venu de Chine… Or, au lieu d’atterrir dans les réserves bancaires comme après la crise de 2008, cet argent est directement injecté sur les marchés par l’intermédiaire des fonds d’investissement gérés par les investisseurs institutionnels non bancaires comme BlackRock. En fin de compte, cet argent rejoint le circuit commercial général. Dès novembre 2020, plus de 3 trillions de dollars créés par la Fed depuis le début de la crise boursière auront déjà atterri à Wall Street. Le flux d’argent créé d’un simple click ne se tarit pas avant l’automne 2021. Et en 2022 la masse monétaire étasunienne aura augmenté de 27%, soit plus de 7 trillions de dollars…
Cette stratégie monétaire non conventionnelle dite de quantitative easing direct, encore plus radicale qu’en 2009, puisque cette fois il s’agissait donc de « going direct », avait été mise au point par les banquiers centraux et le géant de l’investissement BlackRock au cours de l’été 2019 et finalisée lors de leur rencontre estivale annuelle de Jackson Hole (Wyoming) en août de cette même année. Du reste, comme le prédisaient alors l’économiste Elga Bartsch et les ex-banquiers centraux Jean Boivin, Stanley Fischer et Philipp Hildebrand, rédacteurs du Livre blanc publié par BlackRock le 15 août 2019 à l’intention des banquiers centraux sur ce thème: Dealing with the next downturn. From unconventional monetary policy to unprecedented policy coordination (« Faire face à la prochaine récession »)[1], le monde va devoir face à une énorme inflation à cause de cette politique.
Contraction de la masse monétaire : c’est toujours la faute au COVID…
Le premier acte de la crise monétaire consécutive à cette injection massive de liquidité sur les marchés s’est signalé par un renversement de la politique monétaire de la Fed : la planche à billets virtuels s’est tarie, et un nouvel effort au contraire de quantitative tightening (le dernier avait été interrompu en septembre 2019 justement) mis en place en mai de 2022 dans le but de tenter d’assainir le bilan comptable de la Fed, après un premier relèvement des taux directeurs en mars. Cette manœuvre, qui évoque un nouveau coup de volant donné par un conducteur affolé par sa trajectoire et l’obstacle qui se dresse au bout, provoque bien entendu la stagnation de la courbe de la masse monétaire qui accompagne le début d’une légère baisse boursière, entamée lorsque les investisseurs institutionnels commencent de revendre des actions qu’ils avaient achetées avec l’argent de la Fed, et à racheter les T-Bonds vendus par la Fed dans ce nouveau round de quantitative tightening. Depuis 2022, la masse monétaire étasunienne « M2 » (soit l’agrégat monétaire comprenant l’argent en circulation, les dépôts bancaires de liquidité et l’épargne à très brève échéance) connait la contraction la plus sévère de toute son histoire.
Mais de même que le quantitative easing direct sur les marchés ouvre les portes à des contrecoups délétères, et en particulier à l’hyperinflation, le quantitative tightening et surtout le redressement spectaculaire des taux d’intérêt qui l’accompagne comportent leurs effets néfastes, non seulement pour l’économie réelle, mais aussi pour les investisseurs institutionnels. La Fed elle-même arrive en bout de course : ses achats massifs depuis dix ans de Mortgage Backed Securities (produits dérivés bâtis sur le cash-flow des dettes immobilières) et de T-Bonds l’ont mise dans une situation catastrophique. À cause du QE, son bilan comptable est gravement déséquilibré entre sa réserve de capital (35 milliards de dollars) et ses actifs (près de 9 trillions dont trois sont des MBS), soit 250 fois plus. En outre, avec la montée des taux directeurs qu’elle a initiée, la Fed ne fait plus de profit avec les titres de son bilan dont les revenus reflètent encore des taux d’intérêt bas, tandis qu’elle doit verser des intérêts aux banques dont elle abrite les réserves en échange de leurs dépôts, mais en suivant les taux actuels. Pour la première fois de son histoire, elle perd de l’argent. Brochant sur le tout, les obligations du portefeuille de la Fed, comme celles des autres banques, ont perdu beaucoup de leur valeur, une perte bien plus élevée que sa réserve de capital. La Fed elle-même devient insolvable.
…hyperinflation : c’est la faute à Poutine, au changement climatique et aux non vaccinés
Le storytelling est tout trouvé : le virus a ruiné les États, et les troubles internationaux ont achevé de détruire l’économie. Le SARS-CoV2 et la guerre en Ukraine représenteraient « une potentielle confluence de calamités » comme le déclarait la directrice du FMI Kristalina Georgieva à Davos en 2022[2]. Si l’inflation laisse présager une spoliation économique inédite de la population, la création monétaire effectuée par les banques centrales n’y est pour rien. Selon Christine Lagarde le 28 octobre 2022[3] :
… nous avons dû relever les taux d’intérêt parce que nous combattons l’inflation. L’inflation est venue quasiment de nulle part [out of practically nothing].
Elle concède seulement qu’à cause de «la guerre du président Wladimir Poutine en Ukraine», une «crise de l’énergie cause une inflation massive». De même, Jay Powell déclare lors du Forum on Central Banking de la BCE à Sintra Challenges for monetary policy in a rapidly changing world le 29 juin 2022 à propos de l’inflation « qu’il n’y avait rien de fautif dans nos modèles », mais blâme les « chocs subis par l’offre », en particulier ce « nouveau choc sous forme de guerre ». De même, il déplore :
Que nous nous sommes trompés, parce qu’en considérant ces problèmes d’offre, nous
croyions qu’elles seraient résolues relativement vites, […] car nous pensions que tous allaient se faire vaccinés […] mais ça ne s’est pas produit.
Pourtant, les opérations militaires russes débutent en février 2022 et les sanctions visant les hydrocarbures russes ne sont effectives qu’en décembre, tandis que la courbe de l’inflation bondit aux États-Unis et en Europe dès septembre 2021. Au moment de l’invasion elle frôle déjà 8% aux USA et 6% en Europe. Évidemment, si, comme l’affirme Christine Lagarde, c’est le changement climatique qu’il faudrait mettre en cause pour l’inflation, alors Poutine paraît un peu moins coupable[4]… Mervin King, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, ne partage pas les mêmes pudeurs que ses anciens confrères. Il déclarait le 20 mai 2022 sur SkyNews :
… la masse monétaire s’est accrue en 2020 de 25% en un an. On n’est pas obligé de croire dans un lien mécanique entre cela et l’inflation, mais il faut s’interroger sur ce qui est en train de se passer ici si l’on continue ainsi d’imprimer de l’argent dans une telle proportion, et la réponse est évidente : de l’inflation[5].
Lagarde et Powell auraient-ils oublié l’avertissement que leur adressaient à l’été 2019 leurs anciens collègues des banques centrales travaillant désormais pour BlackRock, Jean Boivin, Stanley Fischer et Philipp Hildebrand, dans leur Livre blanc, Dealing with the Next Downturn? Ils notaient que la prochaine crise « nécessitera très probablement de passer à “l’action directe” », c’est-à-dire de « trouver des moyens pour que l’argent des banques centrales parviennent directement dans les mains de ceux qui dépensent de l’argent au nom des secteurs publics et privés », même si cette « croissance de la masse monétaire entraine à long terme de l’inflation », voire « de l’hyperinflation ». Il se trouve que l’hyperinflation est un des moyens, mécaniquement assuré, de diminuer la dette souveraine.
Prescrire de l’inflation pour réduire une dette souveraine ingérable ?
Justement, tandis que les États affrontaient la crise sanitaire puis tâchaient de gérer la crise ukrainienne, la dette souveraine s’est encore prodigieusement accrue, au point de laisser penser que les gouvernements ne s’en soucient plus. Ont-ils trouvé une issue qui les dispense désormais de se préoccuper de leur solvabilité. De même que la création monétaire sans précédent que la Réserve Fédérale a entamée — sous le nom de quantitative easing — à l’automne 2019 et intensifiée en mars 2020 est à l’évidence une monétisation de la dette bancaire dont se nourrissent les marchés, est-elle en outre une tentative détournée de monétisation de la dette fédérale (ce qu’on appelle aussi pudiquement le « financement monétaire » de la dette) par la Fed ? On pourrait l’imaginer, malgré le quantitative tightening entamé au deuxième semestre de cette même année 2022, dans la mesure où au début de 2022 la majorité (40% soit 6,2 trillions de dollars contre 2,4 à l’été 2019) des titres du Trésor détenues aux USA apparait sur son bilan comptable, et que, , et que, même si la Fed s’est engagée à placer 10 milliards de dollars des securities qu’elle détient chaque mois sur les marchés, une large partie de ces obligations n’est pas destinée à y retourner mais simplement à aller à maturité.
Aujourd’hui, comme le supposaient les anciens banquiers centraux de BlackRock, toujours dans leur Livre blanc Facing the Next Downturn, et ainsi que le reconnaissaient aussi Janet Yellen Secrétaire du Trésor en février 2020[6], puis Jerome Powell chair de la Fed en avril 2021 (The David Rubenstein Show: Fed Chair Jerome Powell, 22-04-2021) [7], la dette souveraine des USA est désormais «sur une trajectoire qui n’est pas tenable [unsustainable]». Cette dette excède de trop la modeste croissance économique du pays et rend nécessaire d’emprunter davantage pour rembourser non seulement les intérêts mais toutes les créances obligatoires de la vie publique (Medicare etc.). Soit deux tiers des dépenses publiques fédérales. À partir du moment où l’on emprunte — et à des taux beaucoup plus élevés — pour rembourser ne serait-ce que les intérêts de sa dette, celle-ci croît alors de manière hyperbolique et devient de plus en plus ingérable. Les 30 trillions de dollars de la dette souveraine des USA représentaient déjà plus de 100% de son PIB en 2021. Cette dette atteint 32 trillions en 2023. Au mois de janvier 2022, d’après le Monthly Statement of the Public Debt (MSPD) du Trésor, cette dette s’est en effet accrue de 400 milliards de dollars : l’équivalent en un mois de la croissance annuelle de la dette avant la crise de 2019.
Et depuis 2021 la courbe de ses seuls intérêts « nets » (c’est-à-dire sans les intérêts que l’État se reverse à lui-même) rejoint celle du revenu des recettes fiscales, lesquelles recettes plongent de 30% en 2023, tandis que le déficit budgétaire annuel du gouvernement atteint 2 trillions. En 2022, le remboursement des intérêts de la dette — dus aux marchés sur lesquels l’argent des dépenses de l’État est emprunté — frôlait 700 milliards de dollars ; en 2023, la somme de ces intérêts s’approche du trillion…
En 2011, pour la première fois dans l’histoire, l’agence de notation Standard & Poor avait déjà osé tenter d’abaisser la note de la dette des USA. L’agence n’avait alors pas trouvé de soutien dans sa démarche, et le gouvernement a répliqué en l’accusant — avec raison de fait — d’avoir de graves responsabilités dans le krach de 2008. Le CEO de Standard & Poor a été mis à pied. À bon entendeur, salut. En revanche, les annonces de Jay Powell et Janet Yellen sur la dette souveraine des USA n’ont guère fait de bruit. Elles n’ont pas eu non plus de conséquences visibles à Wall Street au moment où elles ont étés faites. Pas plus que la décision de l’agence Fitch de baisser la note de la dette étasunienne de AAA à AA+ en août 2023. Signe des temps cependant, le Japon, la Chine et l’Arabie Saoudite ont commencé à réduire leur exposition sur les T-Bonds. On sent poindre de même des interrogations sur la prochaine (et colossale) émission d’obligations fédérales prévues par le Trésor pour 2024 : trouvera-t-elle assez d’acheteurs ?
Maintenant nous y sommes : le secteur financier sait qu’il est confronté à une crise qu’il a lui-même suscité et dont les contrecoups peuvent l’annihiler. Une issue au problème de la dette serait la dévaluation radicale du dollar, mais cela reviendrait à quasiment anéantir les securities du Trésor. Quant à l’hyperinflation, qui certes diminue en proportion le poids de la dette souveraine, elle n’est absolument pas viable pour l’économie réelle. Sans parler de ce qu’il adviendra des populations soumises à ce rouleau compresseur. La Fed projetait dès mars 2020 pour les USA une récession d’ampleur inédite dans un avenir proche, une récession bien pire que celle de 1929, avec un taux de chômage de 32%[8].
Pour la suite, un scénario plausible serait le suivant : tôt ou tard, un État va devoir se déclarer en faillite, et les dominos vont tomber les uns après les autres. L’insolvabilité vers laquelle leur dette achemine les États occidentaux n’a pas de précédent historique. Quant aux conséquences d’un défaut complet de l’État fédéral, elles dépassent l’imagination. Les fonds de pension des retraités américains sont anéantis. Tous les produits financiers bâtis sur les T-Bonds (ou incorporant une proportion notable de ceux-ci) se volatilisent. Le dollar part en vrille. La bourse s’effondre comme jamais dans son histoire. À partir de ce moment-là, plus personne, pas même les géants de la finance, ne pourra plus rien contrôler.
Et la dette privée ?
Sans parler de la dette des particuliers (aux États-Unis la dette des seules cartes de crédit s’élève à 1 trillion de dollars), ce qui est difficile d’imaginer, faute de parallèle historique de cette ampleur et de cette intensité, c’est ce qui est susceptible d’advenir alors à la dette des investisseurs institutionnels. Depuis le printemps 2022, des magnats de la finance, comme l’ancien CEO et actuel chairman de Goldman Sachs Lloyd Blankfein, son actuel CEO David Salomon (« bumpy times ahead »[9]), de même que le CEO de JPMorgan Chase Jamie Dimond, ont commencé de mettre en garde le public de manière répétée contre une crise économique sans précédent.
La montée des taux d’intérêt met en difficulté l’équilibre comptable de la Fed, mais tend aussi à rendre les banques insolvables puisque les crédits qu’elles ont consentis auparavant à des taux très bas sont désormais brutalement dévalorisés, de même que leurs propres investissements en T-Bonds et en obligations achetés eux aussi à des taux très bas. Pour l’instant, tant que les bons et les obligations ne sont pas arrivés à maturité, ni vendus, ils sont encore pudiquement comptabilisés comme « des pertes non réalisées ». La montée des taux d’intérêts a également provoqué aux USA une fuite de l’épargne bancaire vers les money market funds basés sur les T-Bonds (qui rapportent 5% aux épargnants en 2023), ce qui bien entendu menacent aussi les banques délaissées par les épargnants. Du reste, depuis 2022, les banques américaines empruntent massivement aux discrètes Federal Home Loan Banks (FHLB) soutenues par l’État. Mais puisque l’hyperinflation menace d’anéantir l’économie réelle dont ne peuvent malgré tout jamais se passer complètement ni les marchés ni les banques, les banquiers centraux ne peuvent envisager de baisser les taux. Alors ils continuent d'étrangler la masse monétaire, en empêchant les banques d'accorder du crédit à cause de leurs taux directeurs stratosphériques, ce qui fatalement anéantira l'économie réelle aussi sûrement que l'inflation... On peut imaginer que la plupart des grandes banques qui bénéficient du statut de SIFI seront sauvées d’une manière ou d’une autre par les pouvoirs publics et les banquiers centraux — en mars 2023 Crédit Suisse est sauvée par la Confédération et par UBS pour être absorbée en septembre de la même année toujours par UBS. Quant aux plus petites banques, leur sort est assuré : elles vont être avalées par des SIFI comme JPMorgan Chase. C’est une occasion rêvée de se débarrasser de cette concurrence et concentrer encore davantage le secteur au sein des SIFI, puis de concentrer un peu plus ces mêmes SIFI, avant de placer les dernières méga-banques survivantes sous le contrôle direct des banquiers centraux. On le sait : la gouvernance se nourrit des situations de crises pour faire avancer son agenda.
Et la bulle de la spéculation boursière ?
Que va-t-il advenir de la gigantesque bulle boursière qui n’a cessé de gonfler grâce au quantitative easing de la Fed depuis le plancher des 700 points du S&P 500 touché en 2009 ? Avec le gigantesque renflouement direct d’actifs boursiers opéré par la Fed à partir de mars 2020, Wall Street a connu une croissance inédite dans l’histoire des marchés — frôlant les 4800 points en décembre 2021 — jusqu’en 2023, sans plus guère de connexion avec l’économie réelle victime alors des politiques sanitaires adoptées de par le monde. D’après l’Index Buffett cette croissance du S&P 500 a même atteint en décembre 2021 une surévaluation de 215% par rapport au PIB des USA et de 175% à la fin de 2023 tandis que l’inflation et la récession assaillent l’économie mondiale. Cette bulle spéculative d’une ampleur jamais vue devrait mécaniquement correspondre un jour ou l’autre au krach le plus brutal de toute l’histoire du casino boursier.
Et que va-t-il advenir de la gigantesque bulle des produits dérivés qui s’est développée en s’adossant aux devises, matières premières, taux d’intérêts, indices boursiers (sur lesquels BlackRock et Vanguard ont bâti leur offre de produits d’épargne), actions, obligations, bons du Trésor ou autres crédits ? Nous ignorons le degré d’exposition des banques et des autres investisseurs institutionnels à ces produits, mais il est probable qu’il dépasse l’imagination.
Nous ignorons également le volume financier total que représente le marché des produits dérivés, ces sortes de contrats d’assurance (mais en fait des paris) échangés entre investisseurs dont la valeur repose normalement sur un ou des actifs boursiers sous-jacents (sauf dans le cas des Swaps et des autres derivatives basés sur des taux d’intérêt) de toutes sortes. Les analystes financiers qui se basent sur leur « valeur actuelle » (sur les marchés) d’échange parviennent à un total de 12,5 trillions de dollars. Cependant, la Banque des Règlements Internationaux (la BRI de Bâle) n’hésite pas à affirmer, d’après la valeur future estimée de leurs actifs sous-jacents — la « valeur notionnelle » —, qu’en 2022 le volume total des produits dérivés atteindrait plus de 600 trillions[10], ce qui représenterait cinq fois le marché public mondial des actions (120 trillions de dollars), six fois le PNB mondial supposé (96 trillions), et vingt fois les échanges commerciaux mondiaux (29 trillions). Certains experts estiment que la valorisation notionnelle de cette bulle irait même au-delà ! Et il en va de même du volume de la dette qui correspond aux achats de produits dérivés grâce à desemprunts dont le but est d’obtenir un « d’effet de levier » (leverage) sur la valeur des actifs financiers dans lesquels on investit.
À l’heure actuelle, les produits dérivés qui parient sur les taux d’intérêt sont à l’évidence les plus exposés. Or ce sont justement les swaps de taux d’intérêt qui constituent plus des deux tiers du marché des produits dérivés, soit presque 500 trillions de dollars en valeur notionnelle. À cet égard, un document de la BRI, « Dollar debt in FX swaps and forwards: huge, missing and growing », publié sans doute avec quelques arrière-pensées dans la BIS Quaterly Review du 5 décembre 2022[11], souligne que les obligations de règlement liées aux swaps et forwards du seul Forex (le marché des devises) qui incombent aux banques et aux autres investisseurs institutionnels constituent un passif caché sur leur bilan respectif — hors-bilan du point de vue comptable donc — s’élevant à 85 trillions de dollars, dont 65 trillions pour les institutions non américaines qui utilisent des dollars.
Quoi qu’il en soit, lorsque le choc principal du collapse économique sera survenu, il n’y aurait d’autre choix, dans l’optique des décideurs économiques globaux, que de basculer vers une économie de pénurie et quelque loi martiale, avec une spoliation massive des biens privés à la clef, tandis que le spectre d’une disette poindra. En effet, beaucoup de choses, notamment les législations adoptées à ce propos, suggèrent que contrairement au bail out (renflouement) dont elles ont bénéficié en 2008, les banques devront recourir au bail in, comme à Chypre en 2013, en se saisissant de l’épargne déposée chez elles par les particuliers… C’est déjà le cas avec Crédit Suisse dont les obligations dites « AT1 » que détenaient ses créanciers se sont volatilisées le 20 mars 2023 (une SIFI est requise par le Dodd-Frank Act de 2010 de détenir dans son capital de telles obligations convertibles en actions pour absorber les chocs financiers).
Il sera alors grand temps que les banques centrales et les géants de l’InfoTech interviennent pour sauver la situation en monétisant ce qui ne l’était naguère pas encore avec davantage de création monétaire, mais aussi avec les CBDC, l’identité numérique, le score de réputation sociale, le revenu universel de base, le rationnement énergétique et la grille de contrôle numérique qui va avec. Car, n’oublions pas qu’il faut aussi lutter d’arrache-pied contre le réchauffement climatique et bâtir une société plus inclusive. Mais tout cela n’est que de la prospective imaginée dans quelque bureau d’un géant du consulting. Nous sommes aujourd’hui au bord du gouffre. Nos décideurs financiers le savent pertinemment. Et Jay Powell, Augustin Carstens, Mark Carney, Christine Lagarde, Larry Fink mesurent la profondeur cet abysse, mais les lapins qu’ils peuvent faire sortir de leurs chapeaux pour en distraire le public souffrent de pénurie. Pourtant, à un moment ou un autre nous y sauterons.
[1] https://www.suerf.org/policynotes/8209/dealing-with-the-next-downturn-from-unconventional-monetary-policy-to-unprecedented-policy-coordination [2] https://www.cnbc.com/2022/05/23/imf-economy-faces-confluence-of-calamities-in-biggest-test-since-world-war-ii [3] https://www.rte.ie/player/series/the-late-late-show/SI0000001694?epguid=IH000413654 [4] https://www.reuters.com/markets/rates-bonds/ecbs-lagarde-climate-change-has-clear-impact-inflation-2022-08-25/ [5] https://news.sky.com/story/cost-of-living-bank-of-england-shares-responsibility-for-crisis-former-governor-says-12617190 [6] https://www.marketplace.org/2020/02/04/debt-inequality-and-the-coronavirus-a-conversation-with-former-fed-chair-janet-yellen-and-the-world-banks-david-malpass/ [7] https://youtu.be/5Nwf_VySYFU?t=145 [8] https://www.stlouisfed.org/on-the-economy/2020/march/back-envelope-estimates-next-quarters-unemployment-rate [9] https://www.bloomberg.com/news/videos/2022-12-06/goldman-s-solomon-on-bumpy-times-bonuses-blockchain-video [10] https://www.bis.org/statistics/about_derivatives_stats.htm [11] https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2212h.htm
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