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Pourquoi la Gouvernance globale s'appuie-t-elle sur la "Gauche"?


Martin/Martine Rothblatt le CEO transgenre: une image du capitalisme "inclusif"...


Face à l’échec du modèle capitaliste financiarisé, il s’avère nécessaire, aux yeux de ses propres dirigeants, de présenter une forme d’alternative — fût-elle mythique — qui assure malgré tout la pérennité de la classe managériale professionnelle. Il semblerait, si l’on suit la logique de ce qui est engagé dans l’économie depuis mars 2020, que la Gouvernance globale de l'économie planétaire envisage à terme une gigantesque contraction de celle-ci. Une quasi disparition des petites entreprises indépendantes est planifiée, et même celle d'une partie des industries. Dans l’esprit de nos policymakers, elles doivent céder leur place aux grandes multinationales, au sein d’un gigantesque marché oligopolistique, sans concurrence réelle donc. C’est le vieux rêve des Robber Barons de l’industrie et de la finance étasuniennes, Andrew Carnegie, John Pierpont Morgan, Cornelius Vanderbilt et bien sûr John D. Rockefeller Sr à qui l’on attribue la maxime: "la compétition est un péché". Leur désir a toujours été de "promouvoir une forme de socialisme dirigée par le secteur privé" afin de s’assurer de jouir d’une "acquisition monopolistique de la richesse" (Antony Sutton, Wall Street and FDR, 1975). C’est aussi le rêve des banquiers centraux dont l’ambition est de faire tomber les simples banques commerciales en même temps que les crédits dont dépendent les PME. Le futur marché oligopolistique devra s’étendre à tout ce qui est commercialisable — c’est-à-dire dans leur optique littéralement à tout. Ce marché sera par conséquent un marché captif où les consommateurs ne disposeront plus d’un choix véritable dans leurs achats, dans aucun domaine. Le phénomène de concentration du capital et de la production propre au monde industriel, déjà bien engagé depuis les deux dernières décennies, devrait donc atteindre un stade beaucoup plus élevé, voire ultime. Une économie totalement centralisée et contrôlée. Le nouveau récit fondateur de la Gouvernance globale à pourrait se résumer au mot célèbre que Tomasi di Lampedusa place sur les lèvres de Tancrè de Falconeri dans Le Guépard : "Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi !".


L'héritier illégitime du néolibéralisme friedmanien ?

On ne sera pas surpris que l’opposition la plus visible à ces bouleversements viennent des milieux conservateurs. Bien entendu, tous ceux qui sont attachés aux principes religieux traditionnels ou bien à la notion de nation ne peuvent se reconnaître dans les changements initiés par la Gouvernance. De même, beaucoup de juristes, désireux de rester fidèles à mille ans de tradition du droit de la personne, sont vent debout. Mais c’est aussi le cas des disciples de Friedman et Mises, vrais partisans de la free market economy des années Reagan-Thatcher : pour aller vite, les backbenchers Tories et l’aile conservatrice voire libertarienne des Républicains. Leur foi dans l’autonomie individuelle face à l’état, dans la nécessité de puissants contrepouvoirs, dans les bienfaits de la concurrence, dans la vertu de la propriété privée généralisée et dans la liberté d’entreprendre est sincère. Leur attachement aux droits fondamentaux individuels comme à la force du droit de manière générale ne l’est pas moins. Et ils jugent que toute forme de collectivisme qui menacerait l’existence des classes moyennes est l’ennemi à abattre — même si ce collectivisme est contrôlé par le secteur privé. Ces milieux conservateurs commencent à comprendre que les décideurs économiques ont tourné le dos à leur vision du monde. Paradoxalement, ils ne mesurent pas que c’est ce monde financiarisé et globalisé, dont ils ont façonné les traits pendant le dernier quart du XXe siècle, à grands coups de dérégulations, de privatisations et de délocalisations, qui a accouché du monstre qu’ils dénoncent aujourd’hui. Leur idéologie du libre marché a fait le lit de l’oligopole qui a pris le pouvoir sur nos sociétés. Le rejeton de l’ordre économique global qu’ils ont bâti est certes décidé à rompre avec un héritage devenu fardeau mais il demeure toujours une émanation du secteur privé.


La religion du progrès

Aujourd’hui, à l’inverse, c’est au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche de l’échiquier politique que le projet de grand reengineering social initié par la Gouvernance mondiale trouve le plus de soutien : chez les Démocrates, dans les partis européens socio-démocrates ou "verts", et même, comme on peut le voir en France, à l’extrême gauche ainsi qu’en témoigne le soutien à la vaccination obligatoire contre le CoViD qu’ont affiché le Parti Communiste, EELV ou le Parti Radical de Gauche (de Christine Taubira). Toute la gauche ? Certes pas. Mais ceux qui à gauche se considèrent aujourd’hui comme des défenseurs des libertés personnelles sont les premiers à souligner qu’ils ressentent une forme d’isolement au sein de leur famille politique. Deux raisons à cela : d’une part, depuis quelques années, la Gouvernance calibre son discours pour être entendue favorablement par un auditoire sensible à des slogans comme soutenabilité, économie décarbonée, inclusivité, diversité, empowerment, universalité/ouverture, globalisme, équité, végétarisme, ou encore impact social, de l’autre il existe depuis longtemps une gauche attirée par la technocratie, l’interventionnisme étatique, la planification et le dirigisme, en même temps que fascinée par les progrès technologiques. Et désormais, sensible à la communication renouvelée du stakeholder capitalism (disons le "capitalisme responsable") prôné par la Gouvernance, cette gauche peut se fondre avec la "nouvelle" gauche, elle aussi technocratique mais progressiste, et qui assume sans vergogne depuis les années quatre-vingt son alliance avec le monde corporate.


Appartenir à l'élite

Du point de vue anthropologique, dès les origines, le droit fondamental à la liberté individuelle n’est pas la priorité des représentants de la gauche dans leur majorité, alors que la vénération religieuse de l’appareil d’état est profondément ancrée jusque dans ses extrêmes. Il est indéniable que depuis le XIXe siècle se dessine en outre, dans les milieux aisés de gauche, une forme de progressisme enclin à l’élitisme et au mépris du peuple. Notamment à cause du ridicule attachement à son petit pays dont témoigne la plèbe, alors que la logique du progrès est celle de la globalisation, de l’internationalisme, de la mobilité et de la "citoyenneté mondiale". Et puis il y a ceux qui savent et à qui l’on doit confier le pouvoir, et ceux qui, de par leurs origines sociales modestes, baignent fatalement dans l’ignorance — et même dans une forme de faiblesse morale congénitale qui les pousse à se complaire dans un désir égoïste de liberté individuelle et d’enracinement local.


Les élites progressistes s’accordent de même avec la classe managériale pour saluer la disparition de ces encombrantes classes moyennes — en déclin depuis les années 70 — si peu enclines à renoncer à leurs droits comme à leurs biens matériels. C’est une société en "sablier inégal" qui a sa préférence, une société où les revenus sont polarisés : une foule immense devant se contenter (pour le bien de la planète) de ce qui est bon marché, tandis qu’une toute petite élite accède à des produits et des services aux prix très élevés. Il faut bien les compenser pour le fardeau dont ils se chargent. De manière logique, ce penchant élitiste peut depuis toujours déboucher sur une tentation autoritaire. On fera le bonheur de la plèbe même contre sa volonté puisqu’elle ne peut pas comprendre ce qui est vraiment bon pour elle. Enfin, ce sentiment d’appartenance à une classe supérieure du point de vue culturelle facilite, peut-être à l’insu de ses membres, une forme d’affinité avec la classe managériale corporate.


Gare aux croque-mitaines

Et puis il y a cet autre narratif très adroit qui a eu un effet dévastateur sur le sens critique de beaucoup. Le discours officiel relayé en particulier par les médias mainstream a su dresser des épouvantails, des croque-mitaines (boogiemen) et établir des qualificatifs péjoratifs correspondants "standards" qui ont permis de disqualifier toute pensée critique. Celle ou celui qui rejette le discours officiel est un personnage sur lequel on placera une ou plusieurs étiquettes infamantes qui tournent autour de celle de réactionnaire et ou de complotiste… L’opération est d’autant plus facile que l’on pourra mettre en avant, de temps en temps, un véritable croque-mitaine patenté qui se chargera de défendre, publiquement et de manière tonitruante, des idées dangereuses pour la Gouvernance. Ces idées seront d’autant plus aisées ensuite à diaboliser. C’est ce que l’on a pu constater pendant la crise du CoViD à propos de ceux qui critiquaient les lockdowns, défendaient les traitements éprouvés précoces ou rejetaient les injections expérimentales forcées. Inversement, ce narratif "anti-réac" (disons pour simplifier) permet de construire dans l’esprit de la partie réceptive du public une sorte de relation d’équivalence entre une bien-pensance woke et les slogans qu’instille la Gouvernance à travers les médias. La Cancel Culture n’aura plus qu’à faire le reste. En revanche, les mots d’ordre de la Gouvernance enrobés convenablement de slogans « verts » ou inclusifs — pour la planète, pour le climat, pour l’égalité de genre etc. — seront avalés tout cru par une bien-pensance woke naïve qui volera, avec toute l’ardeur de sa bonne conscience juvénile et de sa générosité crédule, au secours des projets des multinationales, même s’ils sont particulièrement destructeurs de l’environnement.


Un discours bien calibré

De fait, Klaus Schwab et son Forum Économique Mondial (le WEF), qui se sont donc chargés du public relation de la Gouvernance, mais désormais aussi Larry Fink le CEO de BlackRock dans sa Lettre annuelle, et de même que le banquier central Mark Carney dans son livre Value(s): Building a Better World for All (mais pas building back ?) jouent la carte de cette affinité de manière particulièrement résolue. Il n’y a guère qu’Elon Musk et Peter Thiel, parmi les figures publiques du monde des CEO, qui positionnent leurs discours différemment. Le message du WEF, de Carney ou de Fink, on le sait, est celui du stakeholder capitalism. L’idée sous-jacente est qu’un certain public — disons progressiste — sera réceptif à ce narratif prophétisant l’avènement d’un nouveau capitalisme "responsable", enfin décidé, après avoir accompli son Chemin de Damas (mais à Davos), à ne plus détruire la planète avec une politique de profit à court terme, ne serait-ce que pour des raisons de rentabilité. Il a fait ce choix pour le profit, certes, mais de manière responsable. Ce capitalisme renouvelé réhabilite de même le rôle de l’état avec lequel il désire collaborer étroitement dans un partenariat public-privé. L’état aussi est partie prenante (stakeholder). Désormais le capitalisme investit donc dans des projets qui visent à améliorer la santé publique, enrayer le réchauffement global, tendre la main à toutes les communautés, lutter contre les inégalités, donner à tous les peuples une prospérité équitable… Après le greenwashing, nous aurions ainsi l’inclusivewashing et même le socialwashing et l’equalwashing (on consultera la documentation rassemblée dans https://winteroak.org.uk à cet égard).


Qui plus est, c’est à gauche que l’on rencontrera le plus d’auditeurs susceptibles d’être attentifs à l’obsession du Net Zero qu’affichent l’industrie de la finance et les banquiers centraux, et qui doit leur permettre d’établir une grille de contrôle énergétique totale sur la société comme de monétiser davantage encore la vie humaine, voire les communs naturels. Les discours enrobés de « vert », comme en particulier la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique qu’elle nécessiterait, sont parfaitement calibrés pour toucher au cœur des préoccupations de jeunes gens urbains d’origine aisée qui seront prêts à soutenir des futures mesures coercitives sous prétexte qu’elles « sauveront la planète », et du moment que ces discours leurs sont présentés par des intermédiaires qui leur semblent crédibles. C’est le cas, bien entendu, de toute les ONG qui militent pour l’écologie (Greenpeace, Extinction Rebellion, WWF etc.) et que les multinationales arrosent discrètement. C’est bien entendu le cas aussi des portes paroles médiatiques du Net Zero : le Prince (Roi) Charles, Al Gore et surtout Greta Tunberg — qui à peine un an après avoir manifesté devant son école avec une simple pancarte se retrouve au Sommet de Davos de 2019…


Une fascination pour la technologie

L’histoire de la gauche en témoigne : certains de ses représentants historiques ne sont pas hostiles à une vision d’une société idéale confiée à des gestionnaires professionnels dès lors que ce ceux-ci affirment ne pas avoir le profit comme unique souci, mais simplement le désir d’une gouvernance qui s’accorde aux exigences de la technoscience moderne. Lénine était un adepte du taylorisme et du scientific management. Il fit même venir des ingénieurs américains comme conseillers pour le développement industriel de la Russie soviétique. Mais déjà, le socialisme fabianiste britannique, héritier de l’utilitarisme communitarien de Bentham, était partisan d’une politique "impériale" (c’est leur mot) de collaboration étroite entre l’état et le secteur privé dans le cadre d’une économie planifiée autant que d’un contrôle sociale étroit. La Société fabienne est connue pour avoir fondé en 1895 la London Shool of Economics. On peut même considérer que ses membres éminents Sidney et Beatrice Webb sont aux origines de la pensée technocratique. Du reste, de manière plus générale, le scientisme est une croyance très largement partagée à gauche en même temps que celle du progrès. Le socialisme, en premier à travers Marx, s’est vu comme l’expression de la science dans le domaine économique, sociale et politique.


Ainsi, l’eugénisme, cette pseudoscience à travers laquelle s’incarne le scientisme de manière très concrète, a eu des adeptes sur l’ensemble du spectre politique, mais en particulier au sein du socialisme anglais : Sidney et Beatrice Webb (toujours), H.G. Wells, George Bernard Shaw, Harold Laski, John Maynard Keynes… Cependant aux États-Unis, ce sont John D. Rockefeller Sr et Jr, de même qu’Andrew Carnegie, à travers leurs fondations philanthropiques, qui vont être les principaux artisans des lois eugénistes adoptées pendant l’Entre-deux-guerres par plus de vingt-cinq états. Par la suite, le soutien des Rockefeller et d’une bonne partie du monde corporate — en particulier du secteur biomédical — à l’eugénisme, sous une forme ou une autre, ne se démentira jamais, même après la deuxième guerre mondiale. C’est dans ce cadre, et pour des raisons évidentes de communication, que le biologiste Julian Huxley (frère d’Aldous), cet homme de progrès aux origines de l’UNESCO et du WWF, rebaptisera après-guerre l’eugénisme "transhumanisme". De même, en 1989 l’Eugenics Society britannique a changé son nom en Galton Institute (d’après Francis Galton un des pères de l’eugénisme) et depuis 2021 en Adelphi Genetics Forum, en partenariat avec le Wellcome Trust, la fondation philanthropique biomédicale émanant de l’empire GSK. Ce goût de l’élite managériale et du socialisme technocratique britannique pour l’eugénisme prend son sens dans le contexte culturel anglo-saxon qui les a vu naître, baigné d’utilitarisme et de darwinisme social, mais aussi animé d’un puissant sentiment de supériorité raciale partagé par tout l’échiquier politique. Et puis la classe dirigeante de ce temps, qu’elle soit de tendance conservatrice ou progressiste, pouvait s’appliquer à elle-même le concept d’Herbert Spencer, le père du darwinisme social, de la "survie du plus fort". Du côté corporate, il n’est pas surprenant qu’une vision du monde qui tend à tout considérer comme un capital potentiel en vienne à envisager l’humain comme un capital à valoriser. Si la croyance impérialiste en la suprématie britannique a fait aujourd’hui place à un orgueil de classe plus policé, ces sentiments de supériorité se retrouvent à peu de choses près chez les adeptes du transhumanisme de la Silicon Valley ou du Forum Économique Mondial, rongés au fond de leur cœur par une abyssale haine d’eux-mêmes et de l’humain. Redisons-le, tous communient de toute façon dans cette même croyance au progrès technologique que manifestaient déjà les socialistes fabiens.


Aujourd’hui, il ne reste donc plus à leurs héritiers qu’à se laisser séduire par une vision encore plus radicalement managériale de la régulation sociale, au nom des grands principes qu’ils affectionnent. Au fond, plus le narratif de la Gouvernance sera ouvertement technocratique et globaliste, plus il a des chances d’être reçu favorablement chez les "gens de progrès". Tout comme l'idéologie collectiviste soviétique ou maoïste par le passé, un narratif proposant une système économique post-capitaliste placé dans les mains de la classe managériale professionnelle corporate ne devrait pas déplaire. Selon le WEF, le temps du libéralisme est terminé : "L’ordre libéral global se trouve dans un état de décomposition avancée" (5 Facts You Need to Understand the New Global Order). Place à un ordre axé sur quelques organismes transnationaux, une poignée d’oligopoles et de vastes marchés captifs.


Follow the money…

On aura conscience, enfin, que l’élite managériale globaliste est allée jusqu’à exercer une emprise financière discrète mais directe, en particulier à travers des financements venus des grandes fondations privées, sur un certain nombre de mouvements que l’on peut classer à gauche ou "de progrès" : des mouvements "inclusifs" (à l’instar du militantisme "trans"), écologique ou encore "d’ouverture". Mastercard propose une carte de crédit permettant à chacun de "s’identifier au genre" qui lui convient. Le capitalisme moderne est "inclusif"… Le monde de l’écologie, dans l’optique de décarboner l’économie et de monétiser les biens naturels, est tout particulièrement visé, avec des organismes comme Greenpeace ou Extinction Rebellion qui sont sous le contrôle de multinationales (XR avait même ouvert un éloquent business website fermé depuis). Ce sont des journaux classés à gauche comme le Guardian, Libération ou Le Monde que la Fondation Gates finance. Le magazine internet d’extrême gauche The Intercept est porté à bout de bras par le milliardaire Pierre Omidyar (fondateur d’eBay). Amazon, Apple, Nike et la Fondation Ford ont soutenu financièrement Black Lives Matter. Les donations des Open Society Foundations de George Soros, si souvent orientées "à gauche", sont bien connues pour soutenir l’identité de genre ou l’open border policy. Ce désir cher à la gauche d’ôter les freins qui entravent les flux migratoires, l’est aussi — mais pour des raisons bien différentes — à tous les globalistes, à l’exemple de Peter Sutherland, l’ancien président du GATT et co-fondateur de l’OMC, chairman de Goldman Sachs et de BP, membre fondateur du WEF, comme de la direction du Bilderberg et de la Trilatérale. Il s’est passionné pour le sort des migrants, d’abords aux Nations Unies comme représentant spécial pour la migration (2006-2017), puis au Vatican où il présidera la Commission Internationale Catholique pour les Migrations depuis 2015 jusqu’à sa mort en 2018.


La Gouvernance, à l’image de Larry Fink lui-même, n’hésite donc pas à soutenir le discours woke en vogue et à s’appuyer dessus. À travers ce virtue signaling (cet étalage de vertu), elle veut faire en sorte qu’on la perçoive comme du bon côté de l’histoire. Ce faisant, elle cherche à s’attacher un public urbain relativement cultivé et aisé, mais également confiant dans la technoscience tout en se gargarisant d’écologie et d’égalité de genre, donc a priori favorable à ce type de discours. À terme, il faut s’assurer qu’une partie au moins de la population va s’identifier à ce narratif. Grâce à cela, les figures publiques de la Gouvernance, comme le WEF, les agences onusiennes et même BlackRock, espèrent devenir une sorte d’incarnation institutionnelle du discours à la mode aujourd’hui. Et par conséquent exploiter le sentiment instinctif de rejet à l’égard de tous ceux qui s’y opposent de telle sorte que, par ricochet, tous ceux qui critiquent le discours officiel de la Gouvernance soient perçus ipso facto, par réflexe, comme étant par définition réactionnaires, passéistes, obscurantistes, misogynes, homophobes, transphobes, incultes, complotistes, xénophobes, égoïstes, irresponsables, exclusifs, antiscientifiques, irrespectueux de l’environnement, cruels envers les animaux etc.


Un branding

De fait, aujourd’hui la tendance en marketing est d’essayer de créer un feedback loop entre la marque du produit et sa cible. Le but est que le client internalise une identification à la marque, laquelle construit ainsi un narratif cool autour du produit et son détenteur (cool aussi par conséquent) — par opposition à ceux qui n’en veulent pas et qui sont donc uncool. Posséder le produit en question donne une image spécifique de soi, qui reflète ce que l’on désire être à travers son lifestyle (c’est ce que cherchait déjà à obtenir le nouveau marketing individualisé des années 80). Et cette image est celle que la marque recycle en même temps dans l’image qu’elle donne d’elle-même. La répétition de ce narratif au sein du cycle commercial est essentiel pour que l’identité soit suffisamment validée de part et d’autre. C’est ainsi que s’établit une forme de branding réciproque : une osmose entre la marque et son client. Celui-ci, s’il s’agit de vêtements, pourra aller jusqu’à payer pour arborer sa marque fétiche et en assurer ainsi la publicité gratuite tant son identité s’y sera investie.


Si la Gouvernance réussit à incarner la modernité heureuse au point que son public cible s’identifie à ce branding, et ce, jusqu’à se définir lui-même en fonction de ce branding, alors elle aura atteint son objectif : le narratif aura été internalisé — du moins par son public cible. De fait, le WEF, en particulier, rêve de réussir à incarner ce branding et s’appuie à cet effet sur ses amis people, intellectuels et mêmes religieux qui paraissent extérieurs au monde corporate : en premier lieu Greta Thunberg, mais aussi le Prince — désormais Roi — Charles, Jennifer Morgan de Greenpeace (agenda contributor du WEF), Kenneth Roth de Human Rights Watch (Young Global Leader du WEF), Leonardo di Caprio, Bono (il gère aussi des fonds d’investissement — mais engagés socialement !), le pape François… Ce dernier, avec le Council for Inclusive Capitalism, s’est consacré à la diffusion du message du stakeholder capitalism. Tous formules des critiques contre l’économie de marché, son consumérisme et sa compétition commerciale qui lui sont inhérentes, ou du moins ce qu’ils jugent être ses excès. Ils affichent leur préoccupation des externalités négatives du capitalisme, en particulier en termes d’inégalité sociale et d’impact environnemental : comme le dit le pape Bergoglio, "nous pouvons guérir l’injustice en bâtissant un nouvel ordre mondial basé sur la solidarité" (https://www.vaticannews.va/en/pope/news/2021-03/pope-francis-book-excerpt-god-world-to-come.html.)


Dans le cadre de cette tentative de branding, le WEF est même capable d’afficher des soutiens d’intellectuels de gauche comme celui de l’économiste Esther Duflo (Young Global Leader du WEF), Thomas Piketty (Agenda Contributor du WEF), de Chrystia Freeland du Trésor canadien (Board of Trustees du WEF) et autrice de Plutocrats: The Rise of the New Global Super Rich and the Fall of Everyone Else (2012),même du néo-keynésien Jeffrey Sachs (Agenda Contributor du WEF), ou plus discrètement de Naomi Klein (qui relaie fidèlement la doctrine du stakeholder capitalism dans ses derniers livres sur le réchauffement climatique et a défendu avec virulence les politiques sanitaires covidiennes, notamment d’obligation vaccinale).


Offrir un narratif qui fasse rêver les peuples

Klaus Schwab espère parvenir à susciter l’adhésion des futurs sujets du nouvel ordre mondial à ce projet technocratique grâce à un nouvel épisode de son offensive marketing, cette fois axée sur un "Grand Narratif". Ce dernier est tissé de catchwords (slogans d’un seul mot) plaisants, en particulier la nécessité de la collaboration et l’empathie. À travers les textes rassemblés par Klaus Schwab (et toujours Thierry Malleret) dans The Great Narrative (2021), le WEF espère que la technoscience, en particulier l’édition génomique et les prouesses cybernétiques, fassent rêver les populations (https://www.weforum.org/press/2022/01/klaus-schwab-releases-the-great-narrative-as-sequel-to-the-great-reset/). De même, le stakeholder capitalism vert et socialement responsable, avec son fer de lance l’impact capitalism sensé transformer le monde dans lequel nous vivons, doivent susciter l’enthousiasme de ses futurs sujets. Il faut le reconnaître : le mythe du CoViD a ses limites. Il est dépourvu de portée au long terme et ne permet pas de susciter une vraie adhésion à un projet de transformation de la société.


À ce propos, le livre dirigé par Klaus Schwab (et Thierry Malleret), The Great Narrative, comporte un aveu de taille : la confiance dans l’élite managériale et ses institutions s’érode à une vitesse vertigineuse. Le sommet de Davos du printemps 2022 a d’ailleurs pour titre Restoring Trust. De même, au sommet régional du WEF de Dubaï de novembre 2021 The Great Narrative, Ngaire Woods (Agenda Contributor du WEF et conseillère du FMI) de l’université d’Oxford déclarait :


La bonne nouvelle c’est que les élites à travers le monde se font de plus en plus confiance les unes les autres. De sorte que nous pouvons nous réunir pour concevoir et réaliser ensemble des choses magnifiques. La mauvaise nouvelle c’est que, dans absolument chaque pays où l’on fait des sondages, la majorité des gens font moins confiance en leurs élites. Alors nous pouvons être des leaders, mais si les gens ne suivent pas nous n’irons pas où nous voulons aller.


Nous sommes donc devant une tentative désespérée de légitimer l’autorité de la Gouvernance globale issue de la collaboration internationale des stakeholders autour du projet technocratique. Ce pouvoir global prend ainsi le risque de se dévoiler au public en déployant ce "grand narratif" destiné à devenir notre nouveau mythe fondateur. On aura reconnu l’idée que Yuval Noah Harari, le philosophe quasi officiel de Davos, défendait dans Sapiens (2011) — sans lui-même trop se soucier de la véracité des faits sur lesquels il prétendait s’appuyer. Les humains construiraient leurs sociétés sur des récits imaginaires venus soutenir des règles éthiques arbitraires et fictives. Quant au narratif de la Gouvernance on aura compris qu’il vient tenter de donner un sens à ce qui se déroule, tout en ne proposant qu’une solution : donner toujours plus de pouvoir à une petite élite transnationale.

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