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Les CBDC : les monnaies numériques des banques centrales





Matthieu Smyth


Même si tous ne le voient pas, comme le souligne le Forum Économique Mondial, « l’ordre libéral est en état de décomposition avancée » et le « nouvel ordre global » s’installe (five-facts-you-need-to-understand-the-new-global-order) — à la faveur du CoViD. À cet égard, un certain nombre de changements ont déjà été accompli depuis mars 2020 dans beaucoup de pays, cependant, aux yeux de la gouvernance globale qui supervise ces transformations, il manque encore l’élément clef de la grande restructuration économique, politique et sociale prévue. Cet élément qui doit être mis en place prochainement n'est autre que l'instauration d'un modèle monétaire inédit : les Central Banks Digital Currencies (CBDC), ou «monnaies numériques des banques centrales». Du reste, cela correspond au fait que les véritables policymakers de la gouvernance sont des banquiers centraux et des grands gestionnaires d'investissement. En Europe, ce sera fait à la fin de la décennie d’après Christine Lagarde, parlant au nom de la BCE (ecb.europa.eu). Selon la BCE, il faut profiter des changements rapides que permettent la crise du CoViD (ecb.europa.eu/press/blog)… Sachant que notre système monétaire constitue la fondation sur laquelle toute notre économie est bâtie, on devine l’ampleur du changement programmé. Il s’agit en effet d’une vaste métamorphose orchestrée par les banquiers centraux au nom du secteur du financier, et qui doit aboutir à la disparition du cash d’une part, et l’instauration des CBDC, des e-Wallet, des smart contracts et de l’identité numérique biométrique de l’autre. Une forme de crédit social et la transformation de l’argent en bons programmables et contrôlables sont à la clef. Le but est simple : sauver un secteur financier en crise grâce à la création de nouveaux marchés basés sur une monétisation de l’humain.


Des crypto-monnaies aux Central Bank Digital Currencies

Les CBDC sont bien des monnaies numériques encryptées et basées sur la technologie blockchain. Mais contrairement aux autres crypto-monnaies autonomes comme le Bitcoin, les CBDC seront émises par les banques centrales qui les contrôleront totalement. Une CBDC sera donc, au départ du moins (avant que le data mining ne prenne en partie le relais comme on l’expliquera), une fiat currency : de l’argent créé à partir de rien d’un simple click par une banque centrale, à l’image des milliers de milliards de dollars créés par la Réserve Fédérale US qui se déversent sur les marchés depuis septembre 2019. Ce nouvel épisode de Quantitative Easing, initié par la Fed, puis imité par les autres banques centrales, lui avait été réclamé par le gestionnaire d’investissement BlackRock sous le nom de « going direct », c’est-à-dire injecter directement l’argent du circuit des réserves bancaires sur les marchés. Et c’est ce dont les banquiers centraux occidentaux, lors de leur rencontre annuelle de Jackson Hole Wyoming d’août 2019, avaient approuvé l’idée. Cette révolution monétaire, passée pourtant à peu près inaperçue, est la première étape d’une série de transformations radicales devant cette fois affecté beaucoup plus directement tous les citoyens.


Les crypto-monnaies actuelles, indépendantes pour l’instant, ressemblent fort à des prototypes des futurs CBDC totalement sous contrôle. Nous étions sans doute encore en phase de test. Cependant les crypto-monnaies permettent déjà un enregistrement des transactions dans un registre infalsifiable, et sont déjà associées à une rémunération liée in fine à la collecte (le blockchain mining) de transaction data. Ce qui laisse entrevoir une création monétaire à partir du data mining, ou du moins à certains égards.


Les stablecoins, indexés sur les cours d’une ou plusieurs devises réelles, offrent déjà l’exemple de crypto-monnaies moins autonomes. Mastercard et maintenant Visa procèdent à des tests sur le terrain, en collaboration Ethereum, et avec des états périphériques comme la Barbade, le Nigeria ou l’Ukraine. Depuis 2021, la Banque Nationale Suisse, en collaboration avec la BRI et la Banque de France, teste une CBDC (l’Helvetia) en vue de transactions interbancaires transfrontalières. Cependant, c’est la banque centrale suédoise, la Sveriges Riksbank, qui semble le plus avancée dans ce domaine en Europe. Ce sont les banques privées suédoises qui, dès 2003, ont émis les premières e-ID, lesquelles ont été ensuite reconnues par les autorités publiques. Une CBDC suédoise, l’e-Krona, est donc bel et bien prévue, mais l’exécution de ce plan reste pour l’instant en suspens (e-krona-sweden-riksbank-central-bank-digital-currency-cbdc). D’après les responsables du projet, le niveau de numérisation générale de la société suédoise reste insuffisant pour la lancer dans le public. En particulier sur les questions liées à la vérification de l’identité. De même, Christine Lagarde, qui milite pour l’émission par la BCE d’une CBDC, vient de repousser son lancement en 2026. La Banque d’Angleterre a annoncé en 2021 le lancement d’une « CBDC Taskeforce ». La Fed en discute. Mais sans surprise, c’est la Chine Populaire, à l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver 2022, qui a annoncé l’introduction officielle de la première CBDC opérationnelle — l’e-Yuhan (ou e-CNY), testée depuis 2020. Et le PCC ne fait nullement mystère que désormais les transactions effectuées en CBDC sont toutes contrôlées en temps réelle par la banque centrale.




Les tokens ou l’argent programmé

Les crypto-monnaies de seconde génération comme l’ERC-20 (et suivantes) d’Ethereum offrent d’ores et déjà un support aux smart contracts stockés dans la même blockchain, c’est-à-dire des contrats numériques dont les clauses sont exécutées automatiquement en temps réel. KPMG, en particulier, s’est investi dans ce domaine pour ses clients à travers son projet Blockchain Partner. Grâce aux smart contracts, on peut ainsi émettre et échanger des actifs numériques — les « tokens » — sur une blockchain, mais, contrairement aux simples « coins », également les programmer. Et ce, notamment, pour que les utilisateurs puissent y accéder via une application décentralisée (DApp), sorte d’interface autonome intégrée elle aussi à la blockchain.


De ce fait, le token peut devenir un voucher (ce qu’il désigne à la base), un bon d’achat donc, mais aussi « être programmé pour le droit d’usage d’un produit ou d’un service blockchain, un droit de vote, un droit d’auteur, un moyen de paiement, une réputation »… (blockchainpartner) Et donc être intégré à un Score Social comme nous allons le voir. Dans la perspective d’un effondrement économique, le token pourra donc prendre la forme d’un ticket de rationnement contrôlé en temps réel en fonction du degré d’obéissance et de soumission (compliance) affiché par son détenteur. Quant aux marchés financiers, ils espèrent des gains colossaux sur les produits financiers directs ou dérivés qui transformeront en actifs boursiers ces smart contracts des futurs miséreux.


Après le greenwashing, le socialwashing

À l’évidence, c’est ce que préfigurent les nouveaux SIB (Social Impact Bonds), ces obligations dont l’actif sous-jacent est un projet social, et dont le retour sur investissement dépend de l’ampleur de son impact social. Lorsque les SIB seront sur blockchain, ils pourront convertir au fur et à mesure en plus-value boursière le data social extrait des individus (défavorisés) ciblés par ces investissements, via une société de gestion du Big Data, puisque c’est ce data qui mesure leur rentabilité. C’est ce qu’ont planifié les partisans de l’impact investing théorisé par le gestionnaire de capital-risque Ronald Cohen (impact-de-ronald-cohen). C’est aussi ce que mettent en œuvre des investisseurs comme Bono (le chanteur de U2 et membre du Forum Économique Mondial) avec son fond d’investissement dans les SIB (le « Rise Fund »). Cet Impact Capitalism social considère les détenteurs de SIB comme les futurs tuteurs de la « société civile » (de la plèbe). Le capital ici sera l’humain lui-même et plus seulement sa force de travail.


Le nouvel ordre mondial monétaire

Les CBDC sont vraisemblablement destinées à fusionner en partie dans une seule et même devise internationale de référence. C’est du moins ce qu’affirmait Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre (et membre du Board du Forum Économique Mondial), au même symposium des banquiers centraux de Jackson Hole Wyoming de 2019. Il prédit, dans le cadre d’un « nouvel ordre mondial » appelé à devenir « multipolaire », l’avènement d’une monnaie numérique internationale de référence en remplacement du dollar, la Synthetic Hegemonic Currency (SHC), sur le modèle du projet de crypto-monnaie stablecoin initiée par Facebook sous le nom de Libra (et désormais par Meta sous celui de Diem) (mark-carney-speech-at-jackson-hole-economic-symposium-wyoming). On devine que nos banquiers centraux cherchent dans ce panier monétaire multipolaire une issue à l’effondrement inéluctable du dollar pris dans le maelstrom de la dette US.


Les transactions désormais totalement sous contrôle

Cependant, la révolution monétaire qui se profile à l’horizon vise tous les citoyens, c’est ce que nous pouvons comprendre dans cette conférence virtuelle, Cross Border Payments. A Vision for the Future, réalisée le 19 octobre 2020 sous le patronage de Kristalina Georgievadirectrice du FMI (et du Forum Économique Mondial), et à laquelle participaient aussi Jay Powell chairman de la Fed et Augustin Carstens chairman de la Banque des Règlements Internationaux (la « banque centrale des banques centrales »). Ce dernier y déclare sans aucune vergogne :


… dans notre analyse des CBDC, notamment pour leur utilisation en général, nous avons tendance à établir une équivalence avec le liquide, mais ici il y a une différence énorme : par exemple avec le liquide nous ne savons pas qui utilise un billet de 100 dollars aujourd’hui […] et la différence clef sera que la banque centrale jouira d’un contrôle absolu sur les règles et règlements qui détermineront l’usage de cette expression d’une garantie (liability) donnée par cette banque centrale, et, aussi, nous aurons la technologie pour l’imposer […] le degré de contrôle sera vraiment bien supérieur, et c’est vraiment une bonne nouvelle (imf.org/en/Videos/).


On ne sera donc pas tellement surpris de voir qu’au début de 2020 l’ancienne homologue de Carstens, Janet Yellen (ex chair de la Fed), et depuis secrétaire du Trésor, s’est faite l’avocate d’une proposition de l’administration Biden, d’exiger de toutes les banques qu’elles rapportent à l’IRS toutes les transactions individuelles supérieures à 600 dollars, dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale (l’American Families Tax Compliance Agenda). Outre la conséquence de cette mesure qui serait la fermeture des petits établissements bancaires incapables de répondre à cette exigence, la volonté de mettre en place une grille de contrôle financière des citoyens est évidente.


La fin des comptes bancaires privés

Un article signé de Saule Omarova (The-Peoples-Ledger ), une juriste d’origine kazakh qui aurait dû être nommée Comptroller of the Currency (contrôleuse des banques) du gouvernement Biden (mais qui a renoncé à ce poste face à l’hostilité qu’elle rencontrait à cause de cet article), le laisse également entendre. Il énonce ce que les banques centrales et les investisseurs institutionnels envisagent de faire à terme. Madame Omarova n’est certainement pas la rédactrice du papier en question comme on peut le constater pendant son audition au Sénat US. Mais il fallait que quelqu’un chargé d’un background soviétique détourne l’attention des véritables initiateurs du projet. Peu importe. Le point de départ des réformes prévues est encore et toujours le CoViD-19, ce mythe fondateur de cette nouvelle ère. De quoi s’agit-il ? En même temps que les CBDC arriveront, les petites banques commerciales pour les particuliers, de type Credit Union, disparaîtront. Les comptes de tous leurs clients seront transférés à la Fed. Il n’est pas précisé si celle-ci déléguera alors la gestion au quotidien de ces comptes à des entités intermédiaires bancaires, mais c’est probable. Il est enfin clairement affirmé qu’en cas de besoin les dépôts des particuliers seront susceptibles d’être ponctionnés de manière discrétionnaire même si c’est à titre « exceptionnel » — par exemple pour lutter contre l’inflation. Autrement dit, les banques centrales vont pouvoir extraire des biens au sein du public sans représentation en contrepartie.


Bien entendu, cette évolution laisse entendre que l’argent physique est appelé à disparaître progressivement pour faire place à la monnaie numérique basée donc sur la technologie blockchain. Ce sont bien toutes les monnaies dont l’usage échappe au « contrôle absolu » des banques centrales qui doivent devenir obsolètes aux yeux de Carstens. Mais c’est aussi pourquoi les CBDC doivent être liées à l’identité numérique biométrique (Digital ID, DID ou e-ID), via un software de digital wallet (ou e-Wallet) permettant les transactions de monnaies numériques. À terme les CBDC doivent donc être synonyme de la disparition de la vie privée, prédite par le Forum Économique Mondiale.


De pair avec l’identité numérique biométrique et l’e-Wallet

L’e-ID, qui est un programme basé d’abord sur l’identité biométrique individuelle, mais également sur la technologie blockchain, tout comme les CBDC et les smart contracts, s’intègre à un hardware tel qu’un smartphone, voire en plus à des capteurs corporels. Son but est d’attester l’identité de son « porteur » (si l’on peut dire) devant un moniteur également électronique, tout en fournissant diverses informations relatives à cette identité. Ce data est destiné à être ensuite géré par l’entreprise l’extrayant via la technologie blockchain lui-aussi.


Alors pourquoi l’e-ID ? Il y a la question de la sécurité des transactions, évidemment ; mais, surtout, grâce à elle, les CBDC seront employées telles que nos grands argentiers en conçoivent l’usage, c’est-à-dire sous leur contrôle strict. Dans quel but ? Conjuguer la monnaie avec le Score Social de ses usagés établis par leur conformité aux normes édictées par les pouvoirs publics. En effet, en plus d’être connecté au réseau numérique bancaire basé sur la technologie blockchain, l’e-Wallet le sera donc à l’état civil, mais aussi surtout à d’autres services gouvernementaux tels que le fisc …ou les autorités sanitaires : dans le vidéo-clip promotionnel de son e-Wallet (identite/digital-id-wallet), l’entreprise française de matériel militaire Thalès vente les qualités de ce software capable de rappeler automatiquement à sa détentrice « son rendez-vous pour sa vaccination obligatoire ». Et à l’évidence, l’actuel « pass » vaccinal est la plateforme sur laquelle seront établies l’e-ID et l’e-Wallet.


Ce dernier sera bien entendu capable d’extraire en retour du data, en vue, d’une part, d’établir la notation sociale du détenteur de l’e-Wallet, ainsi que les autorisations d’achat accordées (ou non) en conséquence, ou encore le futur permis individuel carbone. Et d’autre part, d’extraire du même coup un maximum de données à partir de l’identité numérique biométrique. Ce data mining permettra d’établir ensuite, toujours à travers la technologie blockchain sécurisée, du Big Data. Celui-ci pourra être alors collecté et analysé au sein du cloud computing par un des spécialistes de ce domaine comme Oracle, Salesforce, IBM, SAP, Accenture, Microsoft ou Palantir, pour le compte des private equity funds et de leurs gestionnaires, qui auront ainsi étendu leurs investissements à des activités sociales naguère exclues de toute financiarisation possible.



Data mining et Score Social

Au-delà de l’identification, ces technologies visent donc à terme à extraire et gérer, via la technologie blockchain, des données biométriques sur nos activités, et même psychométriques sur notre ressenti — ainsi que les sociétés Big Tech chinoises le testent déjà. Le système monétaire numérique sera ainsi au final en bonne part le reflet de ce data mining permettant à des algorithmes d’établir le Score Social de chacun.


C’est de ce score dont déprendront les actifs boursiers « sociaux » de demain qui seront développés sur la base des SIB (Social Impact Bonds) évoqués plus hauts. Ils seront placés sur la même blockchain que le Score Social des plébéiens, et ils offriront ainsi de nouveaux marchés aux private equity firms qui les géreront au nom de leurs investisseurs. Ces actifs viendront monétiser sur les marchés financiers la bonne volonté et le comportement dont feront preuve les futurs sujets du Score Social.



Mais c’est également de ce score dont dépendra l’usage que pourront avoir les individus de leurs CBDC, par exemple lorsqu’ils devront se procurer de la nourriture avec leur tokens contrôlés en temps réel, dans le cadre de l’économie de pénurie qui se prépare. On peut donc en partie définir les CBDC comme des devises « comportementales ». De plus, le Score Social est parfaitement en accord avec cette volonté d’évaluer tout un chacun continuellement et intégralement qui obsède le management depuis les années 80. Tout cela suppose bien entendu l’implantation de moyens numériques de surveillances aussi invasifs qu’universels. C’est à ce type de technologies que fait allusion Augustin Carstens ; et comme le dit Larry Fink :


Les marchés n’aiment pas l’incertitude. Les marchés aiment les gouvernements totalitaires, là où l’on a une bonne compréhension de ce qui se passe.


Le nouveau « Contrat Social »

Il nous faut donc « poursuivre la redéfinition de notre contrat social » (Gabriel Attal). Ce « nouveau contrat social », que l’ONU, le FMI, l’OCDE, le Council on Foreign Relations et évidemment le Forum Économique Mondial (avec l’ONG Business for Social Responsability), mais aussi le McKinsey Global Institute appellent de leurs vœux, nous dessine un avenir décarboné, équitable et inclusif, mais qui impliquera de « perdre de la liberté » au nom du bien commun (a-new-social-contract-for-21st-century). Concrètement, pour chacun, une fois que l’e-ID et l’E-Wallet seront instaurés, comme le souligne ce document du WEF rédigé avec l’aide d’Accenture :


… tandis que les technologies numériques de la Quatrième Révolution Industrielle avancent, nos identités deviennent de plus en plus numériques. L’identité numérique détermine quels sont les produits, services et informations auxquels nous pouvons avoir accès — ou, inversement, ce qui nous est interdit d’accès (Identity in a Digital World: A New Chapter in Social Contract, p. 4) (WEF_INSIGHT_REPORT).

Et comme l’indique le titre du document, il s’agira par conséquent d’un « nouveau chapitre du Contrat Social ».


Plus d’argent mais des bons d’achat

Dans un document vidéo du Chatham House (sorte d’ancêtre britannique du WEF) (futurescape.chathamhouse), censé nous faire désirer le mode de vie que les élites nous préparent pour 2030, on nous annonce de même que nos achats s’effectueront avec une crypto-monnaie garantie par l’état (une sorte de CBDC donc). Cependant, quelques précisions sont ajoutées : il est dit que les magasins n’accepteront que ces CBDC, et que celles-ci seront obtenues « grâce à des good deeds » telles que des engagements sociaux. On notera que des actes humains, liés en théorie avec le simple besoin humain de s’engager social avec ses congénères, et qui de tout temps avait été entièrement gratuits, deviennent ici des services monétisés. À ce propos, qui déterminera la nature précise et la valeur marchande de ces good deeds ? Comment évaluera-t-on la conformité de votre comportement avec celles-ci ? Qu’en ira-t-il de ceux qui n’entreront pas dans les régulations que les autorités auront établies à ce propos ?


La vie sur blockchain

Les rédacteurs du site de l’Illinois Blockchain Taskforce, qui se veut un leader dans ce domaine (BlockchainTaskForceFinalReport), ont eu d’ailleurs la bonté de nous résumer ce qui se prépare. Notamment dans le cadre d’une économie de pénurie, voire de disette, l’état pourrait :


… mettre en place une « entitlements digital currency » [monnaie numérique donnant des droits] pour les programmes d’aide comme les bons alimentaires. Fournir une vérification sur la base d’une identité numérique aiderait ce programme de manière adéquate, en vérifiant les demandeurs et réduisant les fraudes. Des smart contracts détermineraient avec précision, de manière efficace et effective, si les demandeurs sont éligibles. Un système incitatif de « token de nourriture saine » additionnel pourrait être proposé afin d’accomplir des objectifs auxiliaires de santé publique, ce qui permettrait à d’autres systèmes de programme d’aide sanitaire de faire des économies supplémentaires.


D’après le schéma qui est proposé sur le site, le demandeur, après la vérification de son e-ID bionumérique et la sélection de son éligibilité par les smarts contracts, se voit alors allouer par ceux-ci un nombre déterminé de tokens pour des magasins d’alimentation pour une zone donnée dans son e-wallet stocké au sein de la blockchain. Si ensuite il achète une pomme et non un hamburger, la clause d’un smart contract — un nudge d’incitation comportementale économique encodé sur la blockchain — se déclenche et lui donne un autre token dans son e-wallet. On notera que ce nudge numérique permettra aussi de remplacer les fonctionnaires par des applications Dapp et des smart contracts.


Micro-management

En somme, tel est l’avenir monétaire qui se dessine : la gouvernance souhaite implanter un Score de Crédit Social élaboré à partir de ce qui est testé à l’heure actuelle en Chine Populaire ; ce Score Social doit permettre de contrôler la vie quotidienne de ceux qui y sont soumis ; et ce, en particulier pour leurs achats dans le cadre d’une économie de pénurie. L’argent doit ainsi être remplacé pour les classes inférieures par des sorte de vouchers conditionnés à la soumission aux règles sociales imposées par l’état. De même que les conditions d’usage régulent les bons d’achat d’aujourd’hui, les programmes informatiques des banques centrales piloteront les futures transactions plébéiennes : elles seront orientées, autorisées ou bloquées en temps réelle, de même que les moyens de paiement nécessaires à ces transactions seront crédités ou annulés à échéance. En menaçant d’étrangler financièrement les populations sur le champ en cas de récrimination, la gouvernance dispose d’un outil de chantage difficile à parer pour réussir à imposer son micro-management de tout un chacun. Répétons-le, aux dires du Forum Économique Mondial (et de leurs collaborateurs d’Accenture), la numérisation des transactions permettra (aux technocrates) de déterminer « quels sont les produits, services et informations auxquels nous pourront avoir accès — ou, inversement, ce qui nous sera interdit ». Il en ira de même pour le futur permis individuel carbone (personal carbon allowance) qui limitera les déplacements ou l’alimentation (sous prétexte que la viande aurait un impact carbone).


On peut supposer que l’acceptation par la population de ce coup d’état monétaire sera préparée par la crise économique majeure qui se dessine. Face aux faillites, au chômage de masse, à l’inflation galopante, les CBDC seront présentées comme une planche de salut. Il suffira par exemple de lier l’introduction de ces monnaies numériques avec celui d’un revenu universel de base (Universal Basic Income ou UBI) destiné aux populations en détresse. D’une certaine manière, avec les CBDC, les tokens et l’économie de pénurie qui se prépare, ce sera le retour des crédits d’achat qu’utilisait John D. Rockefeller pour les ouvriers de Standard Oil dans les avant-postes de forage à la fin du XIXe siècle

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