Matthieu Smyth
Tandis que la crise « sanitaire » du CoViD s’estompe lentement, les véritables objectifs des décideurs de la gouvernance économique et financière globale commencent à apparaitre au grand jour. Le cœur de cet agenda est un changement de paradigme monétaire. C’est autour de ce dernier que gravitent les autres réformes de la société dont les technocrates des grandes banques centrales et de la finance internationale souhaitent la mise en place.
Krach, défaut et informatique
À la base, c’est la fin du dollar comme monnaie de réserve mondiale et le caractère désormais ingérable des dettes souveraines des pays riches qui sont en cause. Aux États-Unis, les recettes fiscales ne parviennent même plus à rembourser les intérêts de la dette. En même temps, pour ces raisons, mais aussi parce que la pyramide spéculative de Wall Street a implosé en 2008 et ne tient debout depuis que grâce à l’argent magique créé d’un simple click par la Réserve Fédérale, un krach boursier d’une ampleur inédite se profile à l’horizon : la valeur des titres cotés en bourse comme celle des paris bâtis dessus menace d’être anéantie.
Pour maintenir la bourse à bout de bras, depuis le 17 septembre 2019, les banquiers centraux autour de la Réserve Fédérale et de la Banque des Règlements Internationaux (BRI/BIS) de Bâle, en accord avec les grands gestionnaires d’investissement, et en premier lieu avec le titan BlackRock, arrosent les marchés d’« argent magique » de manière massive et continue, avec l’hyperinflation, l’anéantissement de la valeur des devises et l’étranglement de l’économie réelle comme conséquences inéluctables. C’est pourquoi, dans un second temps, les techniciens des grandes banques centrales (avec ceux des institutions internationales comme le FMI) espèrent sauver l’empire de l’économie financiarisée globale en changeant ce qu’est la monnaie : en abolissant purement et simplement l’argent tel que nous le connaissons depuis cinq mille ans.
Le contrôle total des transactions : une vision du futur ?
À cette fin, les banquiers centraux comptent sur l’aide du « FinTech » — c’est-à-dire la branche de l’informatique spécifique aux transactions financières numériques et en particulier sur ses ingénieurs qui travaillent sur les cryptomonnaies numériques enregistrées sur une blockchain. En effet, nos bureaucrates internationaux ont imaginé de substituer à l’argent, sous le nom trompeur de Monnaie Numérique des Banques Centrales (CBDC) ou de « smart money », des sortes de bons d’achat programmables — ce que l’on appelle des « tokens fongibles ».
Contrairement aux autres cryptomonnaies, les CBDC ne doivent pas intégrer une technologie trop décentralisée. Les CBDC sont conçues pour être traçables en temps réel (dans quelque méga data center) sans anonymat, autant que programmables, de sorte que (je souligne) :
la banque centrale jouira d’un contrôle absolu sur les règles et régulations qui détermineront l’usage de cette expression d’un passif sur le bilan comptable de cette banque centrale » (Augustin Carstens, chairman de la BRI lors du symposium du FMI, Cross Border Payments. A Vision for the Future, le 19 octobre 2020).
L’archipel de Google
Les ingénieurs des cryptomonnaies Ripple travaillent de leur côté avec les banquiers centraux pour permettre une transition des monnaies actuelles vers les monnaies numériques via les « stablecoins » (des cryptomonnaies indexées sur une monnaie nationale), tandis que ceux d’Ethereum préparent des tokensprogrammés qui seront liés à des « smart contracts » dont les closes s’exécuteront automatiquement en temps réel, en particulier relativement aux conditions d’achat susceptibles d’être placées sur tel ou tel bien. Ethereum travaille en outre sur des protocoles de vérification moins gourmands que ceux des autres cryptomonnaies. À l’arrière-plan, les géants du Big Data et de l’audit (Apple, Google, Oracle, SAP, Salesforce, Accenture, HPE, IBM, Microsoft, Capgemini ou encore Deloitte) se positionnent pour extraire, gérer et revendre l’immense flux de data individuel escompté. De leur côté, les grandes banques n’auront plus qu’un rôle d’intermédiaire et pourront se consacrer presqu’entièrement à la gestion d’investissement et aux services financiers.
Pour la BCE, il faut d’abord en finir avec l’anonymat des transactions
Quant à la BCE, une des grandes banques centrales avec la Fed, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon, lors d’une réunion co-organisée avec la Commission Européenne, Towards a legislatice framework for a digital euro (joint_ECB_EUC_conference) le 7 novembre 2022 à Bruxelles, ses représentants ne mâchent pas leurs mots. D’après Fabio Panetta ancien président de la Banque Centrale d’Italie et aujourd’hui membre exécutif du conseil d’administration de la BCE, le futur e-euro devrait être programmé pour enregistrer sur la blockchain de la BCE toutes les transactions sauf celles qui sont inférieures à 50 € de même qu’un volume mensuel de transactions qui resteraient en dessous d’un total de 1000€. En effet, de telles transactions mineures « pourraient ne pas être enregistrées mais c’est une discussion qui devra avoir lieu », selon Panetta. La banque centrale pourra surveiller tout le data généré par les transactions, mais ne conserverait pas le data personnel des usagers.
En outre, toujours selon Panetta, les responsables de la BCE discutent de la limite qu’ils veulent imposer au droit au dépôt en monnaie numérique des usagers : celle-ci ne devrait pas pouvoir dépasser 3000 e-euro pour ne pas mettre en danger les banques commerciales qui pourraient perdre toute leur clientèle — ce qui signifie que la monnaie du cricuit commercial bancaire doit pouvoir se perpétuer en parallèle au moins dans un premier temps. De même, le ministre allemand des finances Christian Lindner, tout en s’inquiétant du manque éventuel d’enthousiasme des populations quant à la fin des transactions anonymes, souligne la nécessité que cette monnaie numérique soit programmable, de telle sorte que seules des vendeurs agréés par l’état puissent en bénéficier, ou qu’une date d’expiration du token soit installée, contraignant son usager à le dépenser dans un laps de temps donné.
Christine Lagarde, quant à elle, souligne que:
… l’anonymat complet — tel que le cash le permet —n’apparait pas comme une option viable selon moi. Cela contreviendrait à d’autres objectifs de nos politiques publiques tels que la compliance aux règlements contre le blanchiment d’argent ou la lutte contre le financement du terrorisme. Et cela nous rendrait pratiquement impossible de limiter l’usage de l’euro numérique comme forme d’investissement — par exemple en plafonnant les dépôts ou en échelonnant leurs rémunérations —, c’est ce pour quoi l’identité de l’usager doit être connue.
La grande grille numérique
La BCE prévoit d’entamer une phase de test pour l’e-euro en 2023 puis de déployer cette la CBDC pour de bon à partir de 2026. De leur côté, les ministres des finances des Pays-Bas et de la France (ministere-de-l-economie-a-reclame-l-acces-a-toutes-les-transactions-bancaires), à la suite de la Secrétaire du Trésor US Janet Yellen, ont tous réclamé — au nom de la lutte contre la fraude — le droit d’avoir accès à toutes les transactions bancaires (supérieures à 600$ pour Janet Yellen). Il n’est pas difficile de comprendre qu’il s’agit des premiers pas pour tenter d’instaurer une grille de contrôle enserrant la vie économique de chaque citoyen. Une grille de contrôle qui est bien entendu pensée comme numérique à terme.
Au nom cette fois de la sécurité des transactions en monnaie numérique, les gouvernements tenteront ainsi d’imposer de même l’identité numérique (e-ID) pour que cette dernière soit couplée aux CBDC. Inévitablement, l’e-ID aura comme plateforme un software d’e-Wallet (déjà conçu par Thalès) pour collecter et transmettre notre data. Et c’est par le biais de l’e-Wallet que le monde de la finance compte instaurer un permis carbone individuel relié à une forme de score de réputation sociale encadrant la vie quotidienne de chacun, et ainsi monétiser toutes les activités humaines — au nom du bien de la planète.
Dormez tranquille : les bons citoyens seront récompensés
À cet égard l’e-euro et les autres CBDC se présentent comme un instrument de contrôle parfait : comme le soulignent les membres de ce panel réuni par la BCE et la Commission, l’argent programmable permet à une autorité de type gouvernemental de restreindre les achats, selon la nature du produit désiré ou la qualité de l’acheteur potentiel — laquelle nécessite pour être évaluée le calcul en temps réel d’un score de réputation sociale. C’est pourquoi l’argent tokenisé des CBDC pourra s’apparenter le cas échéant à des bons d’achats. Comme chez Michelin dans les années trente où les ouvriers étaient en partie rémunérés en bons d’achat dans des magasins tenus par Michelin, et ce, en fonction de leur docilité…
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