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Crise de la santé mentale des jeunes. Nous la redoutions et elle a explosé




Publication originale :


Ellen Townsend

12.07.21

Nous avons contraint les jeunes à prendre sur leurs épaules un fardeau sensé protéger la santé des adultes. Leur bien-être et leur avenir en ont payé le prix — un prix élevé. Il n’est que temps que nous nous commencions de les protéger, eux.

Il y a à peine un an, j’avais écrit un article pour ce blog de l’Université de Nottingham, dans le cadre de la série « After the Virus ». Je faisais part de mes inquiétudes concernant l’impact des restrictions ordonnées par le gouvernement sur la santé mentale et le bien-être des enfants comme des adolescents. Comment les jeunes allaient supporter ces mesures me préoccupaient, et ce, sur plusieurs points clefs — en particulier je m’inquiétais pour les jeunes vivant dans un environnement difficile ainsi que pour ceux souffrant déjà de troubles mentaux. Je n’étais pas seule à être préoccupée : ces deux articles par exemple traitent des conséquences probables de ces mesures sur la santé mentale et sur les politiques de prévention du suicide, en fonction de l’âge des victimes potentielles. Ils soulignent tous deux que les plus jeunes auraient dû tout particulièrement être considérés comme un groupe à risque.

En tant qu’êtres sociaux, nous nous épanouissons grâce aux contacts humains et aux relations bienveillantes. Lorsque nous sommes privés d’interaction humaine, nous sommes au désespoir d’en retrouver de la même manière que nous sommes au désespoir de nous nourrir lorsque nous sommes affamés. Nos interactions avec d’autres humains façonnent notre développement et même comment notre cerveau refait ses connexions pendant l’adolescence, c’est d’ailleurs à ce moment que justement la plupart des troubles de la personnalité commencent à émerger. Le milieu et la fin de l’adolescence sont en général considérés comme une « période délicate » tant du point de vue psychologique que développemental. J’étais alors déjà convaincue que cette décision d’isoler ainsi les uns des autres des jeunes gens allait très probablement provoquer d’énormes dégâts. Hélas, à de quelques rares exceptions près, toutes les études scientifiques les unes après les autres sur ce sujet ont montré à quel point les confinements ont eu un impact terrible sur les jeunes personnes un peu partout dans le monde. On ne peut qu’avoir le cœur brisé face à cela.

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, mais voici un aperçu des ravages infligés la santé mentale des jeunes de par le monde :

· Il est probable que nous ayons maintenant jusqu’à cinq enfants dans chaque classe de trente qui souffrent d’un trouble mental qui puisse être diagnostiqué et qui soit sévère au point de nécessiter une intervention clinique. La taille du « groupe des jeunes vulnérables » est passé de la proportion d’un jeune sur neuf à un sur six, à la suite du premier confinement au Royaume-Uni.

· Selon une étude effectuée chez des jeunes de trois pays (USA, Pays-Bas, Pérou), la dépression s’est considérablement accrue, tandis que l’anxiété est restée assez stable. L’impact était pire pour les jeunes issus d’un milieu multiracial et pour ceux subissant des restrictions sévères de type « confinement ».

· Les troubles alimentaires se sont accrus de manière dramatique au cours des confinements. Mes collègues praticiens me disent qu’ils n’en sont pas surpris, car les troubles alimentaires permettent à ceux qui en souffrent d’exercer une forme de contrôle sur leur vie au sein d’un monde chaque jour plus incertain.

Ayant moi-même effectué des recherches depuis vingt ans maintenant sur la prévention que l’on peut mettre en place face aux conduites autodestructrices et les suicides des adolescents, j’étais plus que quiconque consciente de ce qui se produirait si nous augmentions les facteurs de risque déjà connus d’une conduite autodestructrice. Déjà même avant le confinement, les conduites autodestructrices (que ce soient par automutilation ou par autointoxication, et abstraction faite de l’intention ou du motif) augmentaient chez les jeunes. Or les risques autant de conduites autodestructrices que de suicide s’accroissent notoirement à l’adolescence. C’est même au sein de cette tranche d’âge que la courbe statistique de ce risque croît toujours le plus considérablement. Au cours de l’année précédente, nous avons contraint les personnes de cette tranche d’âge, déjà vulnérable en temps normal, à affronter une situation qui exacerbait leur facteur de risque de conduites autodestructrices : notamment l’isolation sociale, la solitude, le sentiment d’être pris au piège, le défaitisme et le désespoir.

Les pensées suicidaires se sont accrues à travers toutes les tranches d’âge, avec une personne sur dix faisant l’expérience de pensées suicidaires lors du premier confinement en Angleterre. Mais ce constat était encore bien pire chez les jeunes. Nous devons maintenant aussi faire face à un énorme déficit de prise en charge chez les jeunes dans le domaine de la santé mentale, comme le souligne la diminution des hospitalisations pour des conduites autodestructrices et pour les soins psychiatriques en général. Or ces patients n’ont pas cessé d’avoir besoin de traitement : ils n’y ont plus accès. Et il s’agit d’un problème global : aux USA, l’état du Colorado a déclaré il y a peu un état d’urgence pour la santé mentale des jeune. David Brumbaugh, Chief Medical Officer de l’Hôpital du Colorado pour les enfants, déclarait ainsi que « pendant de nombreuses semaines en 2021, la première cause d’admission aux urgences a été une tentative de suicide. Nos enfants ont épuisé leur résilience — ils sont vidés ». Certains pensent que la génération actuelle va être traumatisée pour les années à venir à cause de la crise liée au COVID-19.

Lorsque j’ai rédigé mon premier article à ce propos sur le blog de l’Université de Nottingham, je me suis demandée qui pouvaient bien être ces experts « […] conseillant le gouvernement à partir d’une “meta” analyse ou un regard global, avec une évaluation des coûts et des bénéfices ». Il est désormais clair que ce gouvernement ne veut pas — ni n’éprouve le besoin — d’une approche « à 360 degrés » de la santé publique. En effet, les membre de l’exécutif n’auraient jamais été avertis de l’impact potentiel de leurs politiques sur les domaines de la santé non directement liés au COVID : notamment le cancer et la santé mentale. Bien plus, on n’a que très peu investi dans la recherche sur les moyens de palier aux effets délétères sur la santé mentale des restrictions imposées par les autorités. Une exception notable : le SPARKLE trial qui étudie une apli de soutien numérique aux tâches de parentalité s’attaquant aux problèmes de comportement et au stress parental, dans le cadre d’une étude de cohorte à l’échelle de tout le Royaume-Uni sur la manière dont les familles arrivent à faire face à a crise (Co-Space).

Le retour — de toute urgence — des enfants à une vie normale doit être plus que jamais notre priorité absolue. Nous avons besoin d’un programme de soutien post-traumatique dans les écoles. Les enfants ont besoin de se socialiser, de faire de la musique, de chanter, de danser, de faire du sport et de s’amuser. Nous le leur devons pour ces sacrifices que nous les avons contraints à endurer ces 18 derniers mois lorsque nous les avons chargés d’un fardeau sensé protéger la santé des adultes aux prix de leur bien-être et de leur avenir. Il n’est que temps désormais de les protéger.

L’annonce par le secrétaire d’état Gavin Williamson, le 6 juillet 2021, concernant les restrictions futures dans le cadre scolaire, suggère que le gouvernement a commencé de comprendre qu’il était crucial de laisser les jeunes retrouver une vie normale. Pour septembre 2021, les « bulles » (des groupes d’élèves distincts sensés ne pas se mélanger) seront dissoutes, et seuls les élèves testés positif seront requis de s’isoler (contrairement à l’ancienne stratégie en vigueur d’isoler aussi tous les cas contacts des élèves testés positif). Les activités hors cursus pourront reprendre — et ces activités doivent en effet impérativement reprendre pour aider nos jeunes à non seulement retrouver ce qu’ils ont perdu mais aussi réapprendre à s’épanouir.

Concernant l’avenir, le danger est que le gouvernement remette en place des restrictions cet automne et cet hiver lorsque les cas vont probablement augmenter. Ce serait pourtant une grave erreur. Nous ne pouvons qu’espérer que nos gouvernants poursuivent dans cette même ligne adoptée cet été : qu’il nous faut accepter que le SARS-CoV-2 est un virus endémique et que l’on doit permettre à nos jeunes de continuer de vivre.



Ellen Townsend est professeure de psychologie à l’Université de Nottingham. Elle est une spécialiste de la santé mentale et de la prévention des conduites autodestructrices et du suicide. Elle est membre du comité de conseil scientifique de Collateral Global

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